«Téléchargez-moi légalement», implore le chanteur Louis Chedid sur l'une des affiches de la dernière campagne de l'industrie du disque destinée à détourner les internautes des services d'échanges gratuits de fichiers peer to peer comme eMule ou Kazaa. Lancée le 14 janvier, à quelques jours du raout annuel de la profession, le Midem, qui s'ouvre à Cannes ce samedi (lire ci-contre), cette opération vise à illustrer la nouvelle rengaine de la profession : les internautes n'auraient plus d'excuses pour s'abreuver au P2P car les «catalogues disponibles sur les plates-formes légales sont désormais quasi complets», affirme Pascal Nègre, le patron d'Universal Music France.

liberation.fr Bug. Télécharger Chedid en payant, on veut bien... mais où ? Hier, le dernier album du chanteur n'était disponible sur aucun des services payants, ni l'iTunes Music Store d'Apple, ni le service Fnacmusic, ni aucun autre. Cocasse, le cas de Chedid n'est pas isolé parmi les quatorze artistes retenus pour la campagne. L'album Rodéo de Zazie se trouve bien sur le site de la Fnac, mais pas sur iTunes Music Store. Tout comme ceux de Françoise Hardy ou de Corneille. Et dans l'immense majorité des cas, impossible de trouver les anciens opus des artistes.

Au-delà de son aspect bouffon, cette affaire illustre un bug de plus en plus criant des services payants : les catalogues de vente en ligne sont encore pleins de trous. Selon les calculs réalisés par Libération et TF1.fr, iTunes Music Store n'offre que 23 des 50 singles les plus vendus en France lors de la semaine du 9 au 15 janvier, soit 46 % du total. Fnacmusic et VirginMega font un peu mieux, avec respectivement 64 % et 80 % du «top». Côté albums, rien de plus reluisant : le Music Store ne propose que 40 % des 30 meilleures ventes «nouveautés», et la Fnac et VirginMega, 70 %. Trouver la Note bleue de Nougaro ou le dernier Sinsemilia relève de l'exploit.

«En construction». La faute à qui ? Pour les distributeurs, ce sont les producteurs qui renâclent à ouvrir leurs catalogues. «On propose à la vente tout ce qu'on nous donne, explique François Momboisse, le responsable du service Fnacmusic. C'est pénible, ce n'est tout de même pas compliqué de mettre l'intégralité du Top 50 et du Top 30 en numérique.» Cette réticence mine selon lui la «crédibilité des services en ligne» car quand «un gamin de 15 ans voit "Téléchargez-moi légalement", et ne trouve pas l'artiste sur iTunes Music Store, il va le télécharger sur Kazaa».

Côté producteurs, on demande un peu de mansuétude. «C'est un marché en construction, et de gros efforts ont été accomplis ces derniers mois. Avoir sur l'Internet toute la discothèque du monde, ça demande beaucoup d'efforts», plaide Jérôme Roger, le directeur général de l'Union des producteurs français indépendants. Il a notamment fallu renégocier de nombreux contrats avec les artistes, pour y ajouter des clauses concernant la vente via le Net. «Et il ne faut pas tout mettre sur le dos des producteurs, les artistes ont leur part de responsabilité : certains, parmi les plus connus, refusent que leur musique soit vendue en ligne», poursuit Jérôme Roger. C'est le cas de Jean-Jacques Goldman, de Francis Cabrel ou des Beatles.

Les producteurs se montrent aussi très critiques avec l'iTunes Music Store. Apple gère son service depuis Londres et aurait tendance à délaisser les producteurs hexagonaux. «Ils ont une politique impérialiste, ils ont des chefs de produit pour toute l'Europe installés à Londres, et des artistes locaux comme De Palmas, ils ne les calculent pas du tout», indique Marc Thonon, le patron du label Atmosphériques. Label qui compte à son catalogue... Louis Chedid, l'homme que l'on ne peut pas télécharger légalement malgré ses insistantes prières. Thonon admet le couac et évoque des «contrats en train d'être signés» : «Je suis dans la merde. Au moment où j'ai accepté que Chedid apparaisse dans la campagne, je pensais que ça serait réglé à temps.» Raté. Une heure après l'avoir eu au téléphone vendredi, il rappelait pour annoncer que, promis, Chedid serait mis en téléchargement payant sur au moins un des services existants dans la soirée.